La blockchain et les drogues : entre déni et réalité

La blockchain et les drogues : entre déni et réalité A l’occasion de la journée internationale « Support don’t punish » qui célèbre tristement cette année 70 ans de guerre à la drogue, faisons un retour sur l’utilisation de la blockchain dans cet univers que beaucoup souhaite oublier. Bitcoin et Dark Web Très vite après la création de Bitcoin et…

La blockchain et les drogues : entre déni et réalité

A l’occasion de la journée internationale « Support don’t punish » qui célèbre tristement cette année 70 ans de guerre à la drogue, faisons un retour sur l’utilisation de la blockchain dans cet univers que beaucoup souhaite oublier.

Bitcoin et Dark Web

Très vite après la création de Bitcoin et des preuves irréfutables du succès de ses transactions, une idée est apparue dans la tête de Ross Ulbricht : une place de marché en ligne où il serait possible d’acheter et de vendre de la drogue de manière sécurisé, pseudonyme mais surtout sans avoir à s’inquiéter d’un organisme central bloquant les transactions.

C’est ainsi qu’en 2011, le site Silk Road est apparu, permettant ainsi à n’importe qui dans le monde de pouvoir se procurer différents produits psychoactifs en ligne en passant par le navigateur TOR.

Quelle révolution cela a été dans l’univers des drogues ! Pouvoir prendre le temps, depuis chez soi, de lire la description d’un produit, les commentaires et retours des utilisateurs, combien étaient notés les vendeurs… Rien à voir avec l’échange rapide en bas d’un bâtiment, souvent sujet aux arnaques à cause de la pression omniprésente d’une police pouvant débarquer à tout moment.

10 ans plus tard, Bitcoin est considéré comme réserve de valeur et les détracteurs qui l’accusaient d’être une monnaie terroriste sont de moins en moins nombreux notamment lorsqu’on leur apprend que Bitcoin n’est pas anonyme et qu’il est possible de retracer les transactions très facilement aujourd’hui.

Bitcoin se souvient donc que son utilisation principale pendant toute ces années a été d’être stocké ou utilisé pour acheter des drogues (et quelques pizzas…) en ligne. Et à moins de réécrire la blockchain, son protocole s’en souviendra aussi longtemps que ses nœuds seront actifs.

Aujourd’hui d’autres marketplaces existent et utilisent de moins en moins Bitcoin pour privilégier d’autres blockchain, plus anonyme. Bonne ou mauvaise nouvelle ? Ca dépend de la manière dont la chose est vue, car la question est évidemment très politique.

Guerre à la drogue, guerre aux drogués

Saviez-vous qu’après la fermeture de Silk Road en 2013, il n’aura fallu que peu de temps avant de voir une version 2 sortir ? Puis une version 3 ? Mais surtout, que de nombreuses autres marketplaces ont vu le jour ?

Lorsque nous sortons un peu des discours officiels sur les drogues et des drogués, un message se fait très vite entendre : « les lois sur les drogues causent plus de dégât que les drogues elles-mêmes ». Le fait que les marketplaces se soient multipliées après l’interdiction de l’une d’entre elles est une conséquence déjà connue des raids contre les cartels ou les points de deal.

Tout comme la créature mythologique de l’hydre, couper la tête d’un réseau ne fait qu’en repousser deux autres dans la foulée.

Cette étude réalisée en novembre 2020 par The Alan Turing Institute le prouve par les chiffres après avoir analysé les différentes dynamiques des marketplaces du dark web. Avec 133 millions de transaction Bitcoin pour 38 millions d’adresses, malgré les raids récurrents ou les exit scams, la réalité est assez parlante : elles existent encore et continuent d’opérer dans l’ombre.

Et chacune de ces actions prohibitives n’a pas empêché ces millions d’adresses acheteuses ou vendeuses de migrer vers d’autres plateformes pour continuer de faire leurs affaires. Cette guerre contre les drogués a donc été aussi de fait, une guerre contre les utilisateurs Bitcoin et la communauté aux Etats-Unis a très bien compris l’attaque qui leur était faite : c’était une attaque directe contre le fameux « libre échange » qui leur est si cher.

Pendant le procès de Ross, de nombreuses personnalités de l’écosystème (comme Roger Ver) sont montées au créneau pour le défendre au nom du libertarisme mais cela n’a pas suffit pour faire bouger les lignes et innocenter Ross.

Sans pour autant faire de lien direct, de plus en plus d’état aux US adoptent une législation plus permissive notamment sur le cannabis. Et en France ?

Le déni français

Au cours des dix dernières années, les seuls changements législatifs sur les drogues ont été une prohibition et stigmatisation croissante des consommateurs. A grand renfort de morale et de culpabilisation, la remise en question de la loi de 70 (celle qui classe et interdit les drogues) n’a jamais été fait l’objet d’un débat public quant à sa réforme.

Il est important de savoir que bien que le deal soit régi et puni par les lois internationales, les lois liées à la consommation et la détention sont laissées à la liberté des pays de manière individuelle.

Plusieurs fois au cours des dernières années, lorsque Bitcoin était accusé d’encourager le financement du terrorisme ou du commerce de drogues illégales, la communauté crypto française a préféré insister sur l’aspect du défaut de non-fongibilité du Bitcoin plutôt que d’aller plus loin dans la réflexion sur l’utilisation du Bitcoin pour autre chose qu’une réserve de valeur.

Déni face à cette utilisation indésirée par la bienséance ? En tout cas, cela a eu comme conséquence d’encourager l’aspect de surveillance du réseau et se conformer à toutes les règles KYC pour mieux retrouver les utilisateurs n’utilisant pas les cryptos pour la « bonne cause ».

Pour un réseau qui dit se passer de permission pour exister, il existe maintenant toute une série de règles coercitives qu’il convient de respecter pour ne pas se faire dénoncer aux autorités. Pour un mouvement qui promeut la responsabilité individuelle et la suppression des tiers de confiance pour valider les transactions, il existe maintenant des consortiums d’expert dictant ce qui est bon ou non pour l’écosystème.

« Support, don’t punish »

Il existe pourtant des points en commun entre l’écosystème des cryptos et celui de la drogue :

  • Bitcoin ne peut pas être censuré = la consommation de drogue ne diminue pas en étant prohibée

  • DYOR = informer ne nuit pas à la santé

  • « Not your keys » ou l’ode à la responsabilisation individuelle = chacun peut adopter une stratégie de consommation qui lui est propre

  • Risques de trading = risques d’addiction

  • « N’investissez pas plus que ce que vous être prêt à perdre » = faites attention aux excès…

Pour tous les risques connus avec les cryptos, une éducation a été mise en place pour les prévenir au pire, les réduire au mieux. Au pire car en prevenant un comportement qui souhaite réaliser quelque chose envers et contre tout, la réalisation aura tout de même lieu mais et personne n’aura de visibilité dessus.

Au mieux car c’est bien la solution de la Réduction des Risques qui semble être la plus pragmatique ici. Certains l’ont appris « à la dure » mais d’autres ont été plus prudents et se sont informés avant de se lancer dans le bain.

Dans les deux cas de figure, la connaissance de ces risques a fait l’objet d’échanges entre pairs pour ensuite être transmise de la manière la plus objective possible. Le but ? Que tout le monde soit informé de la même manière et que chacun puisse déterminer quelle stratégie lui convenait le mieux pour réduire les risques.

Ce soutien mutuel au sein d’une même communauté ne date pas d’hier, il s’appelle la santé communautaire. Pour les drogues, le lien avec la santé physique et mentale est évident mais pour les cryptos, il conviendra plutôt de parler de santé financière et psychologique. Deux facteurs-clés du bien-être individuel qui, si un individu s’en trouve privé, peut mener à des conséquences sociales désastreuses comme l’exclusion ou la pauvreté.

Le genre de conséquences sociales que Bitcoin est censé corriger partout dans le monde et sans distinction.

Conclusion

La principale source morale de l’interdiction de Bitcoin trouve son origine dans son association avec les drogues et les milieux mafieux. Avec la mise à jour Taproot qui prendra effet en novembre cette année, la confidentialité des transactions va s’en trouver améliorée (au moins sur le Lightning Network) mais les consommateurs et les vendeurs de drogue sont déjà passés à d’autres crypto-monnaies comme Monero pour réaliser leur échange.

Plutôt que de faire perdurer l’hypocrisie qui entoure la législation sur les drogues en construisant une politique crypto basée sur « cachez ces transactions que je ne saurais voir », il serait temps d’assumer et d’accepter l’histoire de Bitcoin pour qu’elle nous appartienne encore.

Les décisions relatives au contrôle de la production à la distribution de tous les produits stupéfiants, tout comme celui de toutes les cryptos, reviennent avant tout aux utilisateurs qui sont les réels experts de ces écosystèmes.

Cela permettra notamment de sortir l’écosystème crypto de statut de victime collatérale de la guerre contre la drogue mais aussi remettre en question cette politique du risque 0 brandie comme un mantra et qui n’a réussi qu’à prouver sa contre-productivité depuis toutes ces années.

Tant qu’ils seront exclus des discussions et que leur avis ne sera pas pris en compte lors des décisions finales, comment des lois pourraient être efficaces ? Comment ne pas voir que les mêmes erreurs sont en train d’être reproduite et que leur conséquences seront tout aussi désastreuse ?

La guerre aux drogues est avant tout une guerre aux drogués et servira toujours de pretexte pour une plus grande utilisation de la violence contre les populations.

Aujourd’hui, c’est de soutien dont le monde a besoin, pas de punitions.


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